Pearl, Mississippi, 1962. Dans les riches familles blanches de la petite ville du sud est des États-Unis, il n'est pas rare de rencontrer une servante noire de peau dans leur cuisine ou en train de s'occuper de la toilette de leur jeune enfant. Pourtant, alors même qu'elles élèvent les enfants de leur employeur, elles ne peuvent utiliser les mêmes toilettes qu'eux. Cette aparté, qui n'est malheureusement pas la seule, marque l'existence certaine de la ségrégation raciale fortement implantée dans les mentalités. Politique et valeur de la quasi-totalité des blancs, leur supériorité est indiscutable à leurs yeux. Séparer les lieux publics en deux zones afin de ne pas se mêler à la population noire est pour eux une évidence, une nécessité même, puisqu'ils pensent que la couleur de peau rend leur fréquentation hors du lien servant/patron est nuisible à leur bien être. La société est telle que les forces de l'ordre sévissent et n'admettent aucun laxisme concernant les lois Jim Crow qui interdisent aux populations noires de nombreux actes en les excluant de nombreux lieux, en créant des espaces qui leur sont entièrement dédiés. Tout d'individu dérangeant aux principes de ce gouvernement sont rejetés, punis par la loi, sans possible défense. La liberté d'expression est moindre et devient même inexistante dès lors qu'il s'agit de défendre la cause noire. La qualité de vie à Pearl ne sera pas la même selon l'origine de votre sang, votre rang social, votre religion ou que vous soyez trop zélé aux yeux du gouvernement contre lequel vous protestez. Serez-vous persécuté dans cette société d'inégalité? Préfèrerez-vous le confort que vous offre votre condition de blanc? Prendrez-vous des risques pour prôner les valeurs naissantes de Martin Luther King ou, au contraire, sèmerez-vous la terreur en rejoignant le Ku Klux Klan? L'Histoire des États-Unis est désormais entre vous mains.

« - Molly, vous irez faire les courses avec bébé Bukater quand elle se sera réveillée de sa sieste. Puis vous ferez un repas pour six personnes. Je reçois les copines ce soir, et nous jouerons au bridge alors faites en sorte que le salon soit impeccable avant leur arrivée.

- Oui m’dame. »

Mais Mrs Bukater ne prend le temps d’entendre ma réponse. Elle a déjà claqué sa porte d’entrée, Mrs Bukater. J’entends le vrombissement de sa Chevrolet Corvair toute neuve. Je soupire en prenant compte de l’heure déjà bien avancée. C’est toujours la même chose avec Mrs Bukater, ma patronne. Elle donne ses ordres au dernier moment puis elle part chez le coiffeur faire gonfler ses cheveux et les tendre avec de la laque avant de recevoir ses amies et de battre les cartes, pour de longues parties interminables de bridge. Pendant ce temps moi, je dois les servir. Rester discrète et faire honneur à leur hôte. Combien de fois j’ai dû répondre « Oui, M’dame » à une sollicitation comme « Pas vraie Molly que Mr Bukater a encore fait fortune cette semaine ? » ou encore « N’est-il pas agréable, Molly, d’avoir votre espace à vous dans le jardin, grâce aux toilettes que nous avons construits pour vous ? » Certaines fois, je me sens humiliée. Et pourtant, je réponds toujours « Oui, M’dame », même si, l’instant d’après, je me mords la langue. Une fois, j’ai même senti le goût du sang tellement j’avais mordu fort. Mais c’est pour me taire. Si je lui balançais mes quatre vérités à la figure, c’est à la porte qu’elle me mettrait, Mrs Bukater. Et je suis trop pauvre pour me permettre de répondre et risquer de perdre mon travail. Parce que quand ce n’est pas de bébé Bukater que je m’occupe, ce sont les miens que je dois élever. Si j’étais née blanche, dans une famille de blancs, ma vie aurait été différente. Et je me fais peur en pensant que j’aurai pu me comporter de la même façon qu’eux envers les personnes de couleur. Je suis née du côté qui dérange, celui qu’on considère comme malsain, fautif. Rien n'effraie plus les blancs qu’ils n’ont peur des maladies qu'ils pensent qu’on a nous, la population noire. Comme si la couleur de peau définissait ce que nous sommes. Alors ils ressentent le besoin de se protéger, en nous séparant. Nous, les gens de couleur, on n’a pas le droit d’aller dans les mêmes restaurants qu’eux, on doit mettre nos couverts à part et n’utiliser plus que ceux-là dans leur maison. Les familles de riches, des familles de blancs, ils ont tous des servantes, et je les connais, elles sont mes amies. On vit toutes la même chose ici à Pearl, Mississippi. Mais on sait que c’est partout pareil. C’est terrible de penser que les noirs sont inférieurs aux blancs. Mais ça, ça leur pose pas de problème aux blancs, puisque ça leur permet de s’enrichir encore plus qu’ils ne le sont déjà. Seulement, certains blancs ne sont pas comme la majorité. Et je les aime bien ceux-là, ils ont un bon fond. J’aimerais les aider à faire changer les choses, mais c’est dangereux à cause des autorités. Pourtant, le changement commence parfois par un murmure.